Prud’hommes, preuve et nouvelle «souplesse» de la jurisprudence : avantage ou piège pour une direction d’entreprise hôtelière

Prud’hommes, preuve et nouvelle «souplesse» de la jurisprudence : avantage ou piège pour une direction d’entreprise hôtelière
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Paradigme innovant : Cass. plén. 22 déc. 2023, n° 20-20648 – les éléments de preuve, quand bien même obtenus de manière déloyale – ex. : enregistrement sonore clandestin – sont susceptibles, malgré ce, d’être considérés comme recevables devant et par le juge civil dont les membres d’un conseil de prud’hommes. Telle partie à une action peut


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donc s’en prévaloir afin d’appuyer des arguments et, éventuellement, gagner un procès. Admettre la validité de preuves pouvant prêter à contestation de par leur procédé de recueil et/ou contenu constitue un changement de paradigme. Jusqu’alors, en effet, et depuis des arrêts du 7 novembre 2011 – eux aussi d’assemblée plénière de la Cour de cassation, n° 09-14.316 et 09-14.667 – il était affirmé, relativement au procès de la « matière civile », qu’un juge ne pouvait admettre et considérer comme valable une preuve obtenue de manière déloyale ; la déloyauté s’entendant comme un recueil (de preuve) à l’insu d’une personne, particulièrement par le fait d’user d’une manœuvre et/ou d’un stratagème. Ce changement de paradigme, pour autant, n’induit pas automaticité : la preuve produite s’inscrit dans un contexte juridique lui imposant la satisfaction de conditions.


 



 


Paradigme empreint d’incertitude : postulat à géométrie et hypothèse variables – l’admission de la validité d’une preuve « baroque » n’obéit pas à une logique d’application généralisée. Par conséquent, une direction d’entreprise hôtelière ne doit pas se tromper et considérer qu’elle disposerait – désormais et eu égard à la jurisprudence en son état présent – d’une latitude élargie voire d’une liberté totale devenue une « constante » quant à l’usage de la preuve. En fait, l’actuelle jurisprudence ne fournit aucune licence : pas la moindre certitude n’est à en attendre, chaque contexte de chaque affaire étant susceptible d’influer, positivement ou négativement, sur les réactions du juge, influence aux effets de configuration de l’attitude comme de la perception des choses par la juridiction. Par conséquent, un même mode de preuve sera susceptible d’acceptation ou de refus en fonction des circonstances propres à telle situation, mais également, en fonction de l’habileté d’une direction à faire état – et en considération de son droit à la preuve – de la nécessité absolue, pour elle, de procéder d’une certaine manière pour obtenir des preuves en l’absence d’alternative possible (double impossibilité : autre procédé de recueil de preuve – autre type de preuve).


 



 


Paradigme générateur d’effet boomerang : le salarié aussi – tout le monde profite des facilités susceptibles d’être offertes par telle ou telle jurisprudence, ou telle interprétation, ou mise en perspective de celle-ci. En conséquence de quoi un salarié peut très bien – dans le cadre d’un conflit né ou à venir avec une direction d’entreprise hôtelière – décider d’utiliser des « méthodes spéciales » en fait de recueil de preuves. Et ceci avec l’approbation du juge : acceptation d’un enregistrement sonore clandestin (réalisé avec un téléphone portable) de propos tenus par un chef d’entreprise et retranscrit par procès-verbal de commissaire de justice afin de démontrer l’existence, et d’un accident du travail, et d’une faute inexcusable de l’employeur (Cass. civ. 2e 6 juin 2024, n° 22-11736).


 


Par Jean-Louis Denier, juriste d’entreprise