Digital Markets Act, commission européenne et affaire booking.com : vers les premiers effets de la décision du 13 mai ?

Digital Markets Act, commission européenne et affaire booking.com : vers les premiers effets de la décision du 13 mai ?
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• RAPPEL : opposabilité juridique du DMA (Digital Markets Act ou règlement sur les marchés numériques) aux grandes plateformes du web – depuis 2023, l’Espace économique européen, dans sa dimension numérique, est régulé par des textes spécifiques. Ils tirent cette spécificité de leur destination : le cadrage réglementaire de l’activité des plateformes numériques, dès lors que celles-ci atteignent une « taille critique », notamment en raison du volume de leurs échanges et/ou CA. Hors le DSA (Digital Services Act) en charge de la régulation du B to C, à savoir les relations entre plateformes et consommateurs, est également déployé le DMA. Son secteur de régulation est le B to B : les relations entre professionnels, soit les relations interentreprises entre plateformes et entreprises utilisatrices dont les acteurs de l’hôtellerie, chaînes comme indépendants, groupes comme structures individuelles.
• FINALITÉ DU DMA : défense de la libre concurrence – le DMA se voit assigner plusieurs objectifs dont ceux qui suivent : 1° - lutte contre les pratiques anticoncurrentielles ; 2° - limitation des constitutions de monopoles ; 3° - lutte contre les abus de position dominante (structurellement comme technologiquement) ; 4° - préservation des intérêts des TPE et PME.
• CORPUS JURIDIQUE DU DMA : addition de restrictions opposables aux plateformes – le DMA comporte une série de contraintes imposées aux acteurs du web, notamment en matière : d’abonnement à leurs services (facilitation du désabonnement et limitation des gênes occasionnées par ce dernier), de liberté tarifaire des entreprises utilisatrices (autorisation offerte de pouvoir promotionner et proposer services et produits à des clients comme d’en assurer la promotion en dehors de la plateforme et de son espace numérique et mercatique sans rétorsion contractuelle et/ou financière), d’exploitation de données au sein de la plateforme (facilitation de l’accès des entreprises utilisatrices à leurs données marketing et/ou publicitaires). Ces contraintes limitatives sont complétées d’interdits stricts. De sorte qu’une plateforme ne peut notamment : ni pratiquer l’auto-préférence (favoriser ses services et produits au détriment de ceux des entreprises utilisatrices), ni exploiter les données de ses entreprises utilisatrices afin de pouvoir les concurrencer au sein de leur activité propre.
• EFFICACITÉ JURIDIQUE DU DMA : batterie de sanctions – afin d’être efficient et dissuasif, le DMA sanctionne durement le non-respect de ses dispositions. Cela se traduit notamment par des pénalités financières : amendes au montant important – pouvant atteindre 10% du CA mondial total voire 20% en cas de récidive – ou encore des astreintes pouvant aller jusqu’à 5% du CA journalier mondial total.
• DÉCISION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE : Booking = gatekeeper – cette initiative de l’exécutif européen – qui illustre une démarche de qualification juridique – est la conséquence de deux facteurs. Le premier est d’ordre factuel : Booking est une véritable « galaxie » ; galaxie d’entreprises et/ou structures avec, parmi elles, Booking.com, site web de taille mondiale centré sur l’activité de réservation en ligne dont celle hôtelière. Le second est d’ordre juridique : le DMA octroie à la Commission plusieurs prérogatives dont celle d’enquête et vérification et celle de désignation. L’une comme l’autre s’inscrit dans les conditions d’application du DMA et d’opposabilité de son corpus juridique à tel ou tel acteur du web. Aussi, qualifier tel site web de « contrôleur d’accès » (traduction de gatekeeper) revient à lui signifier que le DMA lui est entièrement applicable. Ce qui semble effectif pour Booking depuis le 13 mai 2024, date où la Commission a conféré à sa décision de désignation un caractère public par voie de communiqué.
• UNE (PREMIÈRE) RÉACTION (ESTIVALE) DE BOOKING : fin de son exigence de parité tarifaire – par voie de courrier-circulaire adressé à l’ensemble de ses entreprises partenaires et notifié à elles en juin avec production d’effets au 1er juillet 2024, Booking leur a signifié que « vous n’avez donc pas l’obligation de proposer sur Booking.com des conditions et des tarifs identiques ou plus avantageux que ceux que vous proposez via d’autres canaux en ligne ou hors ligne ».
• ATTITUDE À VENIR DE BOOKING : respecter le DMA, vraiment… tout le DMA ? – dans la missive précitée, le géant de la réservation en ligne a, en outre, déclaré vouloir « se mettre en conformité avec le règlement européen sur les marchés numériques ». Cette pétition de principe ne manque pas de susciter moult interrogations.
Jusqu’où compte aller Booking sachant que le DMA lui impose de présenter aux autorités européennes, et dans un délai de six mois courant depuis le 13 mai, un rapport (dit « de conformité ») exposant les contenu et détail des mesures prises et à prendre, en interne au sein de la structure, afin d’assurer le strict respect du DMA.
Jusqu’où compte aller Booking, étant entendu que la structure vient, courant juillet 2024, d’être sévèrement condamnée par l’Autorité espagnole de la concurrence. Le motif ? Avoir abusé d’une position jugée « dominante », abus dont a été victime le secteur de l’hôtellerie en Espagne. Cette décision est la conséquence d’une saisine opérée en 2021 par deux associations professionnelles des milieux espagnols de l’hôtellerie. Elle se traduit – nonobstant appel de la décision administrative diligenté par Booking – par une condamnation au paiement d’une amende d’un montant de 413 millions d’euros, fondée notamment par deux interdictions faites par Booking aux hôtels espagnols : 1 - celles de commercialiser des prestations (même sur leur propre site Net) à des conditions tarifaires inférieures à celles de Booking ; 2 – celles d’utiliser des plateformes autres que celle de Booking.
• BOOKING ET L’ACTIVITÉ HÔTELIÈRE EN FRANCE : aller au-delà du précédent du 21 avril 2015 – cette date est celle d’une décision n°15-D-06 émanant de l’Autorité française de la concurrence. Qui a eu pour effet – se manifestant encore à ce jour – de contraindre Booking à cesser d’insérer des clauses de parité (tarifaire) dans ses contrats de prestation de service passés avec des entreprises hôtelières. Cette décision constitue, certes, un acquis pour le secteur hôtelier français, mais un acquis limité à la seule problématique de la liberté de politique tarifaire. Par conséquent, l’opposabilité à Booking de l’ensemble du DMA – tant au niveau de sa lettre que de son esprit – permet d’envisager d’autres progrès au bénéfice des entreprises hôtelières françaises. L’on songera notamment (et la liste n’est pas limitative) aux domaines des : logique et pratique du référencement (nécessité de transparence + égalité de traitement entre prestations internes ou externes à la plateforme)  ; liberté d’action promotionnelle des hôteliers et de choix de leurs vecteurs communicationnels sur le web ; liberté de liaison directe avec le client (sans monopole communicationnel de la plateforme) ; interopérabilité des messageries Booking et hors Booking ; mise à disposition à chaque structure hôtelière (et en temps réel) de ses données « clients et marché ».
• BOOKING, AUTRES PLATEFORMES ET HÔTELS EN FRANCE : initiative et proactivité juridiques – la décision du 13 mai enclenche une dynamique : celle de l’impérativité générale des effets du DMA au sein de l’espace géo-économique européen, dont la France. Les entreprises hôtelières nationales doivent en profiter. Que ce soit avec Booking – ou d’autres géants du web – est venu le temps de l’action afin d’obtenir renégociation de contrats et/ou révision des conditions générales (de leurs prestations de service web) sur le fondement des dispositions du DMA. Étant entendu que : 1° - l’action peut être individuelle ou collective (syndicats professionnels) ; 2° - gracieuse ou contentieuse… si besoin.


Par Jean-Louis Denier, juriste d’entreprise