
Dans son rapport annuel rendu public en février 2017, la Cour des comptes épingle la « forte exposition du secteur de la formation professionnelle au risque de fraude » et la « difficulté des contrôles », du fait de son « organisation complexe » et de « la présence d’une multiplicité d’acteurs ».Il s’agit parfois de « mécanismes de fraude de grande envergure », mais plus souvent de « montages très simples » (fausses listes d’émargement, surfacturation des heures de stages, majoration du nombre d’heures effectuées), dont la mise au jour s’avère pourtant « particulièrement difficile », souligne le rapport.
Face aux risques élevés, les magistrats de la rue Cambon, qui dénoncent l’absence de politique de lutte contre la fraude, appellent l’État à mettre en place une organisation plus adaptée aux enjeux, notamment à travers une « stratégie de contrôle fondée sur une programmation annuelle ». Pour assainir le marché de la formation, les sages de la rue Cambon recommandent en outre à l’exécutif d’autoriser les Direccte (administrations régionales du travail) à prononcer des amendes administratives à l’encontre des organismes de formation qui manquent à leurs obligations.
Sont également dans le collimateur de la Cour des comptes, les organismes paritaires Opca agréés par l’État chargés de collecter et dépenser les cotisations formation des entreprises. Pour les sages de la rue Cambon, leur gestion est inadaptée : « La plupart des Opca ne consacrent que peu de moyens au contrôle des formations qu’ils financent. » Depuis une loi de mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, les Opca doivent s’assurer de la capacité des prestataires à « dispenser une formation de qualité ». Cette évaluation en amont devrait à l’avenir limiter l’accès au marché de la formation de structures aux pratiques défaillantes ou anormales, mais il faut aller plus loin, selon la Cour.
Elle préconise notamment d’augmenter, à travers les conventions d’objectifs et de moyens conclues avec l’État, la part des dépenses que les Opca doivent consacrer à la lutte contre la fraude.
La Cour des comptes demande à l’État de mettre en place une stratégie de contrôle
En 2014, on dénombrait 76 551 prestataires assurant des actions de formation pour un chiffre d’affaires global avoisinant 14 milliards d’euros dont 11 milliards à la charge des entreprises.
En matière de formation, la Cour des comptes pointe particulièrement les pratiques frauduleuses liées à « l’importance des montants en jeu, la multiplicité des prestataires de formation, l’absence de régulation et la faiblesse des contrôles ». D’ailleurs, un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de 2015 dénonçait déjà les failles des OPCA : organisation disparate, procédures peu formalisées, concurrence néfaste, risques d’irrégularités au sein des très petites entreprises, et peu de moyens alloués. Ainsi, la Cour des comptes reproche à l’État les lacunes suivantes :
• Il n’y a pas assez de contrôles
En 2014, les services de l’État ont contrôlé seulement 630 prestataires soit 0,8 % des organismes susceptibles de l’être. Même chose pour les organismes collecteurs et les entreprises concernées (5 % et 0,7 % contrôlés).
• Les obligations des organismes sont trop faibles
Selon le rapport, les obligations des prestataires de formation sont trop réduites. Un simple bilan pédagogique et financier envoyé chaque année aux Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail, et de l’emploi (Direccte) est suffisant. De même, les conditions d’accès au marché sont très souples : aucun agrément n’est demandé, une simple déclaration d’activité suffit.
• Une absence de pilotage national
La Cour rapporte une absence de pilotage national unifié : « La répartition des effectifs de la Direccte est déconnectée des priorités d’action déterminées au plan national et des flux d’activités. » Les 152 agents de la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) affectés au contrôle sont inégalement répartis sur le territoire : quatre régions en comptent moins de trois.
• Pas de vision stratégique
Le rapport dénonce l’absence de véritable vision stratégique des services de l’État, « tant au niveau national que régional ». Pour la Cour des comptes, il existe une disparité des pratiques de contrôle : « Les secteurs d’activité ne sont pas contrôlés de la même façon sur le territoire. » Les magistrats de la rue Cambon recommandent à l’État de mettre en place une stratégie de contrôle fondée sur une programmation annuelle et une organisation plus adaptée aux enjeux.
• Des fraudes fréquentes
Les fraudes relevées par la Cour des comptes sont diverses et proviennent à la fois des prestataires de services – les plus courantes –, des entreprises, et des organismes paritaires.
Les fraudes ont parfois une incidence financière : fausses listes d’émargement, surfacturation des heures de stages réellement dispensées…
La Cour des comptes recommande à l’État d’augmenter les contrôles sur les organismes paritaires et d’autoriser les Direccte à prononcer des sanctions administratives et financières.
De fausses formations, de fausses signatures
Dans une affaire de fraudes à la formation, une cour d’appel a condamné un groupe hôtelier et un organisme de formation qui s’entendaient pour récupérer de l’argent auprès d’un Opca grâce à un montage sophistiqué. La présidente du groupe Time Hôtels, qui regroupe 56 établissements en France, et la gérante de la société Formation Conseil Audit (FCA) avaient mis au point un système bien huilé en mettant en place des stages de formations inexistantes. En effet, pour financer plusieurs prestations de formation conseil et d’administration RH fournies par FCA, la responsable du groupe hôtelier demande à ses directeurs d’hôtels de signer de fausses feuilles d’émargement de formations inexistantes qu’elle transmettait à l’organisme de formation. Celui-ci demandait alors à son Opca, le Fonds d’assurance formation de l’industrie hôtelière (Fafih), de lui rembourser lesdites sessions. L’arnaque à la formation au préjudice de l’Opca s’élève à près de 300 000 euros…